À propos de la suppression de ma chaine Youtube

En quelques années, j'ai été successivement banni de Facebook, d'Instagram et maintenant de Youtube, pour n'avoir pourtant mis en ligne que mes propres créations originales. Mon expérience des GAFAM est celle d’une censure qui s’exerce de manière arbitraire, incompréhensible et définitive.

« Nous comprenons que cette décision puisse vous contrarier », c’est par ce simple email que je suis informé que ma chaine Youtube est supprimée, au motif que « YouTube interdit les spams, les escroqueries et les contenus mensongers », naturellement sans préciser lesquelles de mes vidéos participeraient de cette entreprise d’escroquerie et de mensonge. Je n’ose penser qu’il s’agisse de mes films documentaires. L’un a été produit par La Chaine Parlementaire, l’autre soutenu par le CNC. Difficile de croire aussi qu’il s’agisse de mes travaux avec Benjamin Lazar, le Musée d’art moderne de Paris, l’Institut de France. Reste quelques films expérimentaux, des papillons, un serpent, beaucoup d’oiseaux, deux entretiens avec Jean-Luc Godard et Albert Jacquard en ligne depuis plus de dix ans, deux vidéos montrant un complot policier contre Femen en Ukraine avant la révolution qui avaient été reprises par de nombreux médias en 2013, et enfin la trace d’un film tourné en direct sur Youtube en 2019. Au demeurant, si ce sont mes vieilles images de Femen qui sont en cause dans cette interdiction, ce serait pour le moins très hypocrite de la part de la plateforme de les censurer aujourd’hui après les avoir largement poussées dans les recommandations dans le passé, tant qu’elles généraient des vues et de l’attention.

Après avoir exercé le seul recours possible auprès de Youtube - un droit de réponse limité à 1000 caractères - je reçois rapidement confirmation que ma chaîne est définitivement supprimée, sans explication supplémentaire. Voir cette sanction tomber juste avant de démarrer la promotion de mon film Le Repli oblige à bien se ventiler pour ne pas virer complotiste. Tous les sites web et comptes de réseaux sociaux ayant déjà diffusé sa bande annonce pointent désormais vers un lien mort. Pour le reste j’avais évidemment conservé une archive de toutes les vidéos publiées en ligne, mais ce qui est désormais perdu c’est leur date exacte de publication, qui avait une certaine importance documentaire.

Ironiquement c’est alors que je commence à travailler avec Annie Le Brun sur « la dictature de la visibilité » que je me vois soudainement condamné à une peine d’invisibilité, peut-être la plus lourde qui soit pour un cinéaste, par un tribunal manifestement secret, qui ne motive pas ses décisions et qui se constitue lui-même en court d’appel. Les conditions d’utilisation avaient néanmoins le mérite d’assumer clairement l’obscurantisme de la maison : «Google reserves the right to terminate an account at any time, for any reason, with or without notice». Ce tribunal est-il seulement humain, rien n’est moins sûr, mais si cette censure - qu’il faut bien nommer ainsi faute d’explication convaincante à la suppression de mon compte - est effectivement l’œuvre des algorithmes, cela traduirait possiblement le fait que mes images échappent quelque part à la grande entreprise de standardisation à laquelle ils se livrent, la menaçant même apparemment d’assez près pour qu’elles doivent être supprimées sans préavis.

Sans doute n’y a-t-il pas de valeur plus inestimable pour des images aujourd’hui. Si c’est ainsi qu’il faut interpréter cette interdiction, alors merci.

Date

21 mai 2023

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